[TRAVAUX DE RECHERCHE] Les insectes comestibles peuvent-ils constituer une source durable et bioaccessible de micronutriments pour combattre les carences nutritionnelles dans les populations vulnérables ?

Chaque année, nos étudiants de 1re et 2e année du Bachelor of Science Nutrition Humaine et Sportive réalisent des travaux de recherche. Ces derniers occupent une place centrale dans leur formation. Ils leur permettent de devenir acteurs de leurs apprentissages en développant autonomie, rigueur et sens des responsabilités. À travers ces projets, les étudiants apprennent à rechercher efficacement l’information, à rédiger et argumenter, à structurer leur pensée et à présenter leurs travaux de manière professionnelle. Véritable exercice de réflexion personnelle, le travail de recherche favorise l’organisation, la discipline et l’implication, tout en constituant une étape essentielle vers la réussite et la préparation au monde professionnel. Parmi tous les travaux de recherche proposés, les trois meilleurs sont sélectionnés pour être mis à l’honneur et récompensés. Voici un résumé de celui de Victoria, étudiante en deuxième année de Bachelor of Science Nutrition Humaine à Paris, qui a obtenu la troisième place.
Travaux de recherche 6

Près de deux milliards de personnes souffrent de carences en micronutriments essentiels, notamment en fer et en zinc, entraînant des problèmes de santé publique tels que l’anémie ferriprive, des retards cognitifs ou un affaiblissement du système immunitaire (J. A. S. et al., 2020). Dans ce contexte, l’entomophagie, c’est-à-dire la consommation d’insectes, suscite un intérêt croissant en raison de la richesse nutritionnelle de ces derniers et de leur faible impact écologique (Rumpold & Schlüter, 2013).

En Europe, et particulièrement en France, la législation autorisant l’usage d’insectes dans l’alimentation humaine ouvre la voie à leur intégration progressive dans des produits alimentaires transformés, tels que les farines enrichies. Cette évolution réglementaire pourrait favoriser l’acceptabilité des insectes et le développement d’une production à plus grande échelle, ciblant les populations les plus à risque de carences.

L’objectif de cette étude est d’évaluer si les insectes peuvent constituer une source durable et biodisponible de fer et de zinc pour les populations vulnérables. Pour cela, trois axes principaux sont abordés :

  1. Comparer la valeur nutritionnelle et la biodisponibilité des insectes à celles des sources animales classiques.

  2. Identifier les populations vulnérables et analyser les bénéfices, obstacles et limites liés à la consommation d’insectes.

  3. Étudier la durabilité environnementale, la faisabilité économique et les freins sanitaires et culturels à leur adoption.

Méthodologie

L’étude repose sur une approche analytique multidimensionnelle, fondée sur une revue de littérature scientifique publiée entre 2013 et 2023. Sept articles de référence ont été sélectionnés selon leur pertinence, rigueur méthodologique et actualité scientifique, couvrant les aspects nutritionnels, environnementaux et socioculturels de l’entomophagie.

L’analyse a été structurée selon trois axes :

  • Analyse comparative : comparaison des teneurs en fer et zinc entre insectes et viandes traditionnelles, et évaluation de la biodisponibilité selon différentes méthodes de transformation.

  • Analyse thématique : classification des données par valeur nutritionnelle, populations cibles, risques sanitaires, impact environnemental, acceptabilité culturelle et cadre réglementaire.

  • Analyse visuelle : élaboration de tableaux comparatifs, graphiques et schémas pour faciliter l’interprétation des résultats.

Le potentiel nutritionnel des insectes : comparaison et amélioration de la biodisponibilité

Les insectes comestibles présentent une forte densité nutritionnelle, particulièrement en fer et zinc. Certaines espèces, telles que les grillons, vers de farine ou larves de coléoptères, contiennent respectivement 12–25 mg/100 g de fer et 10–18 mg/100 g de zinc, contre 2,7–3,8 mg/100 g et 4,1–7,6 mg/100 g pour le bœuf

Optimisation de la biodisponibilité :

  • Fermentation : réduit les anti-nutriments et améliore l’absorption du fer non héminique.

  • Cuisson acide : l’ajout de citron ou vinaigre augmente la solubilité du fer.

  • Dé-chitinisation : améliore la digestibilité du fer et du zinc.

Ces procédés rendent les insectes particulièrement adaptés aux besoins nutritionnels des populations vulnérables.

Analyse des populations vulnérables : bénéfices, obstacles et limites

Nourrissons et jeunes enfants

  • Avantages : apport élevé en fer et zinc, soutien à la croissance et au développement cognitif.

  • Limites : acceptabilité sensorielle, risques allergiques, nécessité de contrôle sanitaire strict

Femmes enceintes et allaitantes

  • Avantages : couverture des besoins accrus en micronutriments, prévention de l’anémie, santé maternelle et développement fœtal 

  • Limites : sécurité sanitaire, acceptabilité culturelle, formulation adaptée nécessaire.

Personnes âgées

  • Avantages : prévention de la dénutrition, renforcement immunitaire, maintien de la vitalité.

  • Limites : digestibilité de la chitine, conservatisme alimentaire, tolérance digestive.

Populations en insécurité alimentaire

  • Avantages : source locale et peu coûteuse de protéines et micronutriments, production autonome.

  • Limites : infrastructures insuffisantes, faible acceptabilité culturelle, besoin de formation et de financement.

Durabilité environnementale, faisabilité économique, obstacles sanitaires et culturels

Impact environnemental

Les insectes ont un faible impact écologique : consommation d’eau réduite (1–10 L/kg vs 15 400 L/kg pour le bœuf), faible utilisation des terres, émissions de CO₂ très limitées (~1 g CO₂-eq/kg vs 27 kg CO₂-eq/kg) et excellente conversion alimentaire (1,7–2,1 kg de nourriture/kg de poids gagné)

Faisabilité économique

  • Avantages : faible coût de production, potentiel de distribution élevé, opportunité pour les régions à insécurité alimentaire.

  • Défis : infrastructures limitées, acceptabilité culturelle faible, nécessité d’investissements en R&D.

Obstacles sanitaires et culturels

  • Sanitaires : allergènes (chitine, tropomyosine), contamination microbienne ou chimique, contrôle réglementaire insuffisant (Adegboye, 2022).

  • Culturels : répulsion psychologique, perception négative associée aux insectes, préférence pour des formes alimentaires transformées.

Solutions proposées : réglementation stricte, intégration des insectes sous forme de poudres dans des produits familiers, campagnes de sensibilisation et d’éducation nutritionnelle.

Les insectes comestibles représentent une alternative prometteuse aux sources traditionnelles de protéines et de micronutriments, combinant haute valeur nutritionnelle, biodisponibilité améliorée et faible impact environnemental. Leur intégration dans l’alimentation humaine pourrait bénéficier particulièrement aux populations vulnérables, à condition de surmonter les obstacles sanitaires, culturels et technologiques.

L’adoption durable des insectes nécessite :

  • Des méthodes de production sûres et efficaces.

  • Des produits adaptés aux besoins spécifiques des groupes cibles.

  • Des campagnes éducatives pour lever les freins culturels.

Si ces conditions sont réunies, l’entomophagie pourrait contribuer à la réduction des carences en fer et zinc, tout en soutenant la durabilité environnementale et la sécurité alimentaire mondiale.